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Regard sur Karl Godeg

Autoportrait Karl Godeg Karl Godeg, Autoportrait, circa 1956, huile sur toile, 50 x 35 cm

Un autoportrait de Karl Godeg aux allures d'apparition

Cet autoportrait a des allures d’apparition, pour affirmer la personnalité d’un artiste qui, sa vie durant, a tout fait pour rester incompris. Il est aussi un manifeste. Godeg nous dit clairement que c’est par le regard et non par la parole q’un peintre transmet sa vision du monde. La bouche volontairement serrée, les lèvres fines, malgré sa sensualité, sont celles d’un homme qui refuse de parler, bien qu’il ait beaucoup à dire.

Les yeux sont perçants, préoccupés, inquiétants. Le crâne vaste, dégarni outre-mesure, souligne une pensée complexe, dans la grande tradition allemande, une moitié de visage à l’ombre, l’autre éclairée, la lutte de la lumière et de l’obscurité, celle qu’il porte en lui ou celle qu’il voit?

Le fond du tableau nous situe dans le grand art du XXeme siècle. Il rappelle « Porte fenêtre à Collioure » de 1914, mais un Matisse moins coloré, plus gris, sauf une clarté diffuse qui borde son oreille droite et le bas du visage.

Ce visage attirant et déterminé tranche avec sa vie de petit bourgeois dans une banlieue grise de Berlin Est, celle d’un professeur de dessin et d’un peintre figuratif apparemment banal. Ce Godeg de tous les jours allait jusqu’à mélanger ses oeuvres sur papier avec celles de ses élèves dans les mêmes cartons à dessins, ou avec des oeuvres académiques destinées à l’enseignement. Et il a pris l’habitude, dès les années 30, d’offrir à ses voisins des tableaux convenus, des paysages traditionnels comme on en voit dans les auberges, pour ne pas sa faire remarquer. Il n’a pas eu à se forcer pour peindre des scènes de naturisme qu’il pratiquait, la mer du Nord et les forêts près de Berlin, qu’il aimait. Mais certains de ces tableaux déjouent habilement la censure imposée par un dictateur qui se prenait pour un peintre. Ils soulignent le drame qui se jouait et disent son angoisse.

C’est finalement la lumière, celle qui illumine le vert de sa chemise, qui paraît l’emporter. Sans doute, pour souligner les espoirs d’une Allemagne nouvelle, et la poursuite de ses recherches picturales qui annoncent les peintures d’or de 1962.

J’ai eu la chance de pouvoir recueillir quelques témoignages sur sa vie. Il a été enrôlé comme dessinateur de guerre en France, en 1940, mais né Goldberg, un nom prédestiné pour le futur auteur des goldbilder, il avait changé son nom en 1920, à une époque où l’antisémitisme sévissait déjà. Était-il juif?

Il a eu directement affaire aux Nazis, descendus mitraillette au poing chez lui en 1933, avec menace de les fusiller, s’ils retrouvaient le manuscrit d’un livre sur la contraception que sa femme, Tekla, une belle actrice, avait écrit, en souvenir de sa mère morte après une quinzaine d’accouchements. Les Godeg ont affirmé l’avoir détruit. Le livre sera publié 48 ans plus tard, illustré par Käthe Kollwitz.

Son oeuvre à lui aurait pu complètement disparaître dans les soubresauts de la chute du mur. Quelques peintures resteront, d’autant plus inépuisables qu’elles ne dévoilent pas tous leurs mystères.

A.M.

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